Le récit de cette séance concerne les filles et les garçons d’une classe de sixième, pendant l’année 2021-2022. Elle s’est déroulée pendant l’heure de vie de classe que j’ai la tâche d’animer en tant que professeur principal. Dans le système éducatif français, le professeur principal est un enseignant de référence qui coordonne une classe afin d’accompagner les enfants non seulement dans leurs études, mais aussi dans leur relation aux autres élèves et aux adultes. Chaque professeur principal peut, s’il le souhaite, proposer un projet de classe à développer pendant l’année.
Les élèves semblaient être intéressés à la réalisation d’un journal de classe. Un lundi un dialogue se passant en classe nous a provoqués à nous arrêter sur un mot : conscience. Un professeur avait sanctionné un groupe de garçons et ils n’en comprenaient pas du tout la raison. Ils disaient avoir subi une injustice, que les adultes ne sont là que pour condamner et interdire ; bref, ils n’arrivaient pas du tout à se concentrer sur le travail de rédaction de l’éditorial pour le journal. Sans l’avoir prévu, la conversation avec les enfants est tombée sur la question : « Comment savoir si une chose est juste ou injuste ? Comment savoir si j’ai bien fait ou si je me suis mal comporté ? »
J’ai demandé alors aux enfants si quelqu’un connaissait le sens du mot « conscience ». Au départ, personne n’osait définir un mot si compliqué, puis petit à petit les élèves ont commencé à sortir leurs réponses, les uns s’appuyant sur les interventions des autres. J’ai décidé de noter toutes leurs réponses.
Dans un premier temps, les enfants semblaient repenser à l’épisode vécu avec ce professeur qui leur reprochait de faire des bêtises : « La conscience est le petit signal dans la tête qui permet de nous dire que nous faisons une bêtise » ; « La conscience c’est quand on sait que les autres vont être tristes à cause de nous, mais qu’on a trop honte pour l’avouer. Si on ne dit pas la vérité quelque chose reste dans notre conscience » ; « La conscience c’est quand on fait quelque chose de mal et que du coup on y repense souvent et on ne se sent pas bien. Cela des fois dure longtemps » ; « La conscience fait mal à la tête ».
« Donc on utilise notre conscience seulement pour reconnaître le mal ? » ai-je demandé. La plus timide des filles m’a alors répondu : « Non, la conscience est une intelligence que nous avons tous et qui nous permet de réfléchir » et, après elle, d’autres ont ajouté : « La conscience est comme une voix intérieure qui nous dit quoi faire de bien », « la conscience c’est quelque chose qui permet de comprendre ce que nous ressentons », « c’est une petite voix qui nous guide dans le bon chemin » ; « la conscience c’est avoir conscience de quelque chose, c’est la connaissance de soi, la connaissance du monde qui nous entoure », « la conscience est quand on sait ce qu’on fait » ; « la conscience permet de se questionner, contrairement à l’animal ».
J’ai décidé d’écrire toutes ces réponses au tableau, les enfants ne comprenaient pas pourquoi j’y accordais autant d’attention, mais ils se montraient tout de même curieux. On a observé que chacun avait su dire une expérience personnelle concernant ce mot difficile : il indiquait quelque chose de familier mais qu’ils n’arrivaient pas à définir avec précision. « Une intelligence, une voix, une connaissance qui nous permet de reconnaître le bien et le mal lorsque nous les rencontrons. C’est un mot qui a quelque chose à voir avec la vérité » : voici notre tentative de synthèse. Les enfants ont fini par dire que, en toute conscience, ce professeur qui les avait repris s’était trompé ; ce qui a provoqué un beau rire collectif.
J’ai décidé de mettre par écrit notre conversation et d’en faire l’éditorial de notre journal de classe, dont une copie a été distribuée et présentée, non sans fierté, à tous les élèves de sixième par les élèves de ma classe.
Encore aujourd’hui je ne sais pas quels fruits ce cours a porté ou portera aux enfants. Ce que je vois est le fait que, de mon côté, ces trente-cinq enfants se distinguent nettement dans la foule de mes cinq cent élèves et que certains d’entre eux continuent à venir me raconter leurs journées, même si je ne suis plus leur professeur principal. En mettant cette expérience sous forme de récit pour le présent site, j’ai réalisé que cette séance, ainsi que la réalisation du journal, m’a demandé une bonne dose de fatigue. En étant professeur d’arts plastiques, il s’agit d’une fatigue que souvent je délègue aux autres collègues. Cependant, le travail sur ce mot, si important dans la vie quotidienne de chacun, a apporté, au rapport éducatif entre moi et eux, une nouveauté que je désire retrouver et une fatigue qui est, en réalité, un don.
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